Au cœur des années 60-70, les westerns spaghetti se multiplient sur les écrans européens, offrant une alternative plus rugueuse et désabusée aux classiques hollywoodiens.
Si la poussière, les revolvers et les visages tannés en restent les ingrédients essentiels, le contexte politique et historique, lui, se colore peu à peu de références à la Révolution Mexicaine (1910-1920).
Cette période bouillonnante devient alors la toile de fond parfaite pour des récits où l’ordre vacille, et où les héros marchent seuls, le poing serré et la cartouchière en travers du torse.
emiliano zapata
La Révolution Mexicaine, menée contre la dictature de Porfirio Díaz, n'est pas seulement un événement fondateur du XXe siècle latino-américain.
Pour les cinéastes européens, c'est une source d’images fortes et de symboles universels : le soulèvement des pauvres contre les puissants, l’utopie trahie, la violence comme réponse à l’injustice.
Et dans les westerns italiens, cette révolution devient le théâtre d’affrontements mémorables, où le héros solitaire ou le mercenaire cynique croise les pas de chefs de guérilla, de généraux corrompus et de peuples en armes.
"La révolution, c’est comme une explosion : bruyante, magnifique… puis on oublie qui l’a déclenchée." –
citation inspirée de "Il était une fois la révolution"
Dans ce film sombre et explosif, Leone nous plonge dans un Mexique au bord du chaos, entre idéalisme et désenchantement.
Le duo formé par Juan Miranda, bandit mexicain gouailleur, et John Mallory, ancien activiste irlandais reconverti expert en dynamite, symbolise à lui seul le croisement entre utopie révolutionnaire et pragmatisme amer.
Porté par l'une des plus belles partitions d'Ennio Morricone, ce western humaniste démystifie la révolution autant qu’il en magnifie la folie.
Dans ce western haut en couleurs, Paco, paysan devenu leader révolutionnaire presque malgré lui, embauche Kowalski, mercenaire polonais implacable mais sarcastique.
Corbucci peint la révolution avec ironie et panache, jonglant entre critique politique et action survitaminée.
Les scènes de fusillade frôlent parfois la comédie burlesque, mais cachent toujours une réflexion sur la manipulation des masses.
Autre perle signée Corbucci, Companeros met en scène Vasco, révolutionnaire mexicain rustre, et Yodlaf Peterson, mercenaire suédois aux allures de dandy.
Le tandem fonctionne à merveille, mêlant humour grinçant et propos engagés.
Ensemble, ils traversent un Mexique en feu pour libérer un professeur idéaliste, reflet de cette révolution rêvée que personne ne semble mériter.
Premier véritable western zapata, El Chuncho est une œuvre fondatrice du genre. On y suit Chuncho, un bandit mexicain charismatique (interprété par Gian Maria Volonté), qui vole des armes pour les revendre aux révolutionnaires.
Il est rejoint par un mystérieux Américain, El Niño, dont les intentions sont plus troubles qu’il n’y paraît. Damiani, avec l’aide du scénariste Franco Solinas, livre un film à la fois politique, lyrique et désabusé, où la révolution est autant un espoir qu’un marché.
“N’achète pas du pain avec cet argent… achète de la dynamite.”
Cette réplique finale, devenue culte, résume l’ambiguïté du film : entre trahison, amitié et réveil idéologique. El Chuncho est un western qui pense autant qu’il tire.
Avec Tomás Milián en révolutionnaire analphabète et Orson Welles en colonel sadique, Tepepa est un western zapata crépusculaire et tragique.
Le film explore la désillusion post-révolutionnaire : Tepepa a combattu pour la liberté, mais voit son rêve trahi par les élites.
Un médecin anglais, venu pour se venger d’un viol, devient son geôlier, puis son bourreau.
“La révolution ? Elle est finie. Maintenant, c’est la politique.”
La musique d’Ennio Morricone ajoute une touche mélancolique à ce drame politique, où la violence ne mène pas à la justice, mais à une nouvelle forme d’oppression. Un film amer, mais essentiel.
Moins connu mais tout aussi intéressant, Killer Kid met en scène un agent américain infiltré dans les rangs des révolutionnaires mexicains.
D’abord chargé de les espionner, il finit par changer de camp, écœuré par les manipulations de son propre gouvernement. Le film aborde frontalement l’interventionnisme américain et la question de la loyauté.
“Je suis venu pour les arrêter. Je reste pour les défendre.”
Avec Anthony Steffen dans le rôle principal, Killer Kid est un western plus modeste, mais engagé, qui mérite d’être redécouvert pour sa sincérité et son regard critique sur l’impérialisme.
Au-delà du contexte historique, ces films imposent une esthétique visuelle forte : villages poussiéreux, drapeaux déchirés, bandits en ponchos, campesinos armés jusqu’aux dents, chapeaux larges et regards fiévreux.
Les figures révolutionnaires deviennent quasi mythologiques : mi-saints, mi-brigands.
Les scènes d’assaut sur les trains, les poudrières, les pelotons d’exécution sont autant de tableaux stylisés, où l’idéalisme et la brutalité se confondent.
Les westerns spaghetti ne sont jamais didactiques. Ils jouent avec la frontière entre fiction politique et conte nihiliste.
Si la Révolution Mexicaine y est parfois exaltée, elle est aussi décortiquée, questionnée, pervertie.
Le révolutionnaire peut être un escroc, le général un clown sanguinaire, et le héros… un opportuniste. C’est justement cette ambivalence qui donne toute sa richesse dramatique au genre.
Dans cette zone grise, les Leone, Corbucci ou Damiani dressent des portraits ambigus d’hommes entraînés dans des luttes qu’ils comprennent à peine — mais qu’ils traversent avec panache, audace et dynamite.
La Révolution Mexicaine a offert aux artisans du western spaghetti bien plus qu’un décor exotique. Elle a fourni un miroir déformant des luttes universelles : liberté, trahison, justice, pouvoir.
Et si ses héros ne brandissent pas toujours des drapeaux, ils brandissent des idées — souvent au bout d’un canon.
Qu’elle soit rêvée ou trahie, glorifiée ou ridiculisée, la révolution est restée, dans le cœur de ces films, un prétexte pour raconter la colère des hommes et leur solitude face à un monde trop vaste.
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